Prononcés dans les affaires de Grande Chambre concernant le changement climatique
La CEDH s'est prononcée dans trois affaires de Grande Chambre concernant le changement climatique.
L’affaire Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse concernait une requête introduite par quatre femmes et une association suisse, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz, dont les membres s’inquiètent des conséquences du réchauffement climatique sur leurs conditions de vie et leur santé. Elles estiment que les autorités ne prenaient pas des mesures suffisantes pour atténuer les effets du changement climatique. La Cour a jugé que la Convention consacrait un droit à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie. Elle a constaté toutefois que les quatre requérantes individuelles ne remplissaient pas les critères relatifs à la qualité de victime aux fins de l’article 34 de la Convention et elle a déclaré leurs griefs irrecevables. Elle a considéré en revanche que l’association requérante avaiet été habilitée à agir pour se plaindre des menaces liées au changement climatique au sein de l’État défendeur. La Cour a conclu à la violation du droit au respect de la vie privée et familiale de la Convention et à celle du droit à l'accès à un tribunal. La Cour a conclu que la Confédération suisse avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de la Convention en matière de changement climatique.
L’affaire Carême c. France concernait la plainte d’un ancien résidant et maire de la commune de Grande-Synthe qui soutenait que l’action de la France en matière de lutte contre le réchauffement climatique était insuffisante, dénonçant à cet égard une violation de l’obligation de garantir le droit à la vie et le respect de la vie privée et familiale. La Cour a déclare irrecevable la requête en raison du défaut de qualité de victime du requérant selon l’article 34 de la Convention.
L’affaire Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres concernait les effets présents et les graves effets futurs du changement climatique, que les requérants attribuaient aux États défendeurs, qui, selon eux, ont des effets sur leur vie, leur bien-être, leur santé mentale et les agréments de leur foyer. S’agissant de la juridiction extraterritoriale des États défendeurs autre que le Portugal, la Cour a conclu au terme de son examen qu’il n’existait dans la Convention aucun fondement propre à justifier qu’elle étende la juridiction extraterritoriale de la manière demandée par les requérants. Les requérants n’ayant exercé aucune voie de droit disponible au Portugal pour faire valoir leurs griefs, il s’ensuit que le grief dirigé par les requérants contre le Portugal est également irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. La Cour a déclaré irrecevables les requêtes introduites contre le Portugal et les autres États portant sur le changement climatique.
- Vidéo : Prononcé des arrêts
- Communiqué de presse : Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse
- Communiqué de presse : Carême c. France
- Communiqué de presse : Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres
- Fiche thématique : Changement climatique
- Fiche thématique : Environnement
- Questions-réponses : Affaires climatiques
Chambre
Dans l’affaire Zăicescu et Fălticineanu c. Roumanie, la Cour a conclu à la violation du droit au respect de la vie privée et familiale combiné avec l’interdiction de la discrimination.
L’affaire concernait la révision du procès et l’acquittement, dans les années 1990, de deux officiers de l’armée qui avaient été condamnés, dans les années 1950, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à raison, notamment, de leur implication dans la persécution de Juifs roumains en 1941, en particulier lors du pogrom de Iași, auquel l’un des requérants a survécu, et dans le placement d’un grand nombre de Juifs, dont les deux requérants, dans des ghettos.
La Cour a jugé que la révision de condamnations historiques pour des crimes liés à l’Holocauste n’avait pas été dûment justifiée par le Gouvernement et qu’elle avait dû inspirer des sentiments de vulnérabilité et d’humiliation aux victimes de l’Holocauste que sont les requérants. Les mauvais traitements, dont les requérants se plaignaient, leur ont été infligés neuf ans avant l’adoption de la Convention et cinquante ans avant la signature de la Convention par la Roumanie. En outre, les actes de procédure les plus importants qui incombaient au Gouvernement ont été accomplis bien avant que la Roumanie ne devienne une Haute Partie contractante.
- Communiqué de presse
- Communiqué de presse (en roumain)
Dans l’affaire Sacharuk c. Lituanie, la Cour a conclu à la violation du droit à un procès équitable et à la non-violation de pas de peine sans loi.
L’affaire concernait la condamnation du requérant pour abus de pouvoir et usage illégal d’un document officiel au motif qu’il avait utilisé la carte d’identité d’un autre parlementaire pour voter au nom de ce dernier lors d’une session parlementaire.
La Cour a jugé que le requérant avait pu à juste titre douter de l’impartialité de la Cour suprême et sa demande tendant au remplacement d’un des juges aurait dû être acceptée. Le requérant aurait toutefois pu prévoir que ses actes étaient susceptibles d’être qualifiés d’infraction en vertu du droit pénal applicable à l’époque des faits. La Cour n’a discerné aucune inobservation flagrante du droit pertinent ni aucun élément d’arbitraire dans son application.
Dans l’affaire Aydın Sefa Akay c. Türkiye, la Cour a conclu à la violation du droit à la liberté et à la sûreté et à celle du droit au respect de la vie privée et du domicile.
L’affaire concernait l’arrestation et le placement en détention provisoire d’un juge des Nations unies, ainsi que la perquisition de son domicile et la fouille à laquelle il a été soumis au lendemain de la tentative de coup d’État militaire de 2016 en Türkiye, malgré l’immunité diplomatique dont il bénéficiait. Au moment de son arrestation, il travaillait à distance pour le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (« le Mécanisme des Nations unies pour les Tribunaux pénaux ») depuis son domicile à Istanbul.
La Cour n’est pas convaincue par l’interprétation que les juridictions internes ont donné du droit international pour rejeter l’argument que le requérant tirait de son immunité diplomatique. Il apparaît que ce dernier avait droit à une immunité diplomatique totale, y compris à l’inviolabilité de sa personne et de son domicile privé, et qu’il aurait dû être à l’abri, en vertu du droit international, de toute forme d’arrestation ou de détention. Son arrestation, son placement en détention provisoire, la perquisition de son domicile et la fouille à laquelle il a été soumis étaient donc des actes illégaux.
Dans l’affaire Guðmundur Gunnarsson et Magnús Davíð Norðdahl c. Islande, la Cour a conclu à la violation du droit à des élections libres et à celle du droit à un recours effectif combiné avec l’article 3 du Protocole n° 1 à la Convention européenne.
L’affaire concernait des allégations selon lesquelles des irrégularités auraient entaché le recomptage des voix qui avait eu lieu dans la circonscription du nord-ouest lors des élections à l’Althingi de 2021, aux modifications de la répartition des sièges compensatoires qu’entraînait ce recomptage, ainsi qu’à l’examen par l’Althingi des griefs formulés après les élections. Les requérants étaient candidats dans la circonscription en question, mais ne furent pas élus.
La Cour a jugé que, si la procédure suivie par l’Althingi pour l’examen des griefs des requérants était équitable et objective et assurait que la décision rendue serait suffisamment motivée, elle était cependant dépourvue des garanties requises en matière d’impartialité et elle était caractérisée par un pouvoir d’appréciation pratiquement illimité.
Arrêts et décisions à venir
Grande Chambre
La chambre de la Cour à laquelle l’affaire C.O.C.G. et autres c. Lituanie avait été attribuée s’est dessaisie en faveur de la Grande Chambre.
L’affaire concerne les multiples tentatives d’entrée en Lituanie de quatre ressortissants cubains à la frontière de ce pays avec le Bélarus. Selon les requérants, à chacune de leurs tentatives, les garde-frontières lituaniens les auraient renvoyés en territoire bélarussien, sous la menace d’armes à feu, sans leur donner l’occasion d’introduire des demandes d’asile. Ayant fini par réussir à pénétrer en Lituanie, les requérants y ont été interpellés. L’affaire concerne également la privation de liberté qu’ils subirent par la suite au sein d’un centre d’accueil des demandeurs d’asile.
Le 8 avril 2024, la Cour a rejeté dix demandes de renvoi devant la Grande Chambre.
Audiences
La Cour tiendra une audience de Grande Chambre dans l’affaire Semenya c. Suisse le 15 mai 2024.
L’affaire concerne une athlète de niveau international, spécialisée dans des courses de demi-fond, qui se plaint d’un règlement de l’« IAAF » (désormais World Athletics) qui l’obligeait à réduire son taux naturel de testostérone par des traitements hormonaux pour pouvoir participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine. Refusant de se soumettre audit traitement, la requérante n’a pas pu participer aux compétitions internationales.
Décisions
La CEDH a déclaré irrecevable la requête dans l’affaire Energyworks Cartagena S.L. c. Espagne.
L’affaire concernait des modifications apportées à la réglementation relative au secteur de l’électricité, en particulier au régime des subventions à l’investissement, qui ont eu un effet sur la société requérante, productrice d’énergie.
La Cour a jugé que la société requérante n’avait pas été privée rétroactivement de subventions perçues et que les modifications apportées au système avaient eu une incidence uniquement sur les revenus futurs, lesquels ne sauraient être qualifiés de « biens ».
La CEDH a déclaré irrecevable la requête dans l’affaire Kirkorov c. Lituanie.
L’affaire portait sur une interdiction d’entrer en Lituanie du requérant, chanteur et producteur de musique jouissant d’une grande popularité en Russie, au motif qu’il était considéré comme une menace pour la sécurité nationale. Les autorités ont estimé que l’intéressé était un instrument de la propagande menée par la Russie dans les États de l’ex-URSS et qu’en donnant régulièrement des concerts en Crimée il manifestait son soutien à la politique d’agression menée par l’État russe.
La Cour a jugé que l’appréciation des autorités lituaniennes, qui reposait sur les propos et la conduite du requérant, n’avait été ni arbitraire ni dénuée de fondement. Elle a noté que le requérant avait ouvertement affirmé son soutien aux actions menées par la Russie dans la péninsule de Crimée et s’était lui-même qualifié de « représentant sur scène » de Vladimir Poutine. La CEDH a jugé que les juridictions saisies avaient procédé à une mise en balance entre d’une part les intérêts liés à la sécurité nationale et à l’ordre public et d’autre part les actes du requérant ainsi que l’interdiction dont il faisait l’objet.
Communication d'affaires
La Cour a communiqué au gouvernement lituanien la requête Al-Nashiri c. Lituanie et l'a invité à soumettre ses observations sur la recevabilité et le fond de cette requête.
L’affaire concerne un ressortissant saoudien actuellement détenu dans la baie de Guantánamo et soupçonné, entre autres, d’avoir bombardé le navire de la marine américaine USS Cole en 2000. Il encourt à cet égard la peine capitale devant une commission militaire américaine. Les autorités américaines considèrent qu’il était l’une des personnalités les plus éminentes d’Al-Qaïda.
Dans son affaire devant la CEDH, le requérant soulève de multiples griefs, alléguant avoir passé cinq mois, entre 2005 et 2006, dans un centre secret situé en Lituanie qui était dirigé par la CIA, et y avoir été victime d’actes de torture, de mauvais traitements et de détention non reconnue.
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